Fake OffLe lien entre turbocancers et vaccin antiCovid ne « se base sur rien »

Le lien entre turbocancers et vaccin antiCovid « ne se base sur rien »

Fake OffLe terme turbocancer utilisé sur les réseaux sociaux n’a pas de sens médical, répètent des oncologues, et aucune étude n’a démontré de lien entre la vaccination contre le Covid-19 et des cancers fulgurants
Dans des publications virales, il est affirmé de manière erronée qu'il y a un lien entre vaccin et cancers, voire turbocancers, un terme qui n'a pas de sens médical.
Dans des publications virales, il est affirmé de manière erronée qu'il y a un lien entre vaccin et cancers, voire turbocancers, un terme qui n'a pas de sens médical.  - Capture d'écran de comptes X / Capture d'écran de comptes X
Emilie Jehanno

Emilie Jehanno

L'essentiel

  • L’infox continue de se diffuser de manière virale : des « turbocancers seraient provoqués par les vaccins à ARN messager ». Ce qui est faux, réaffirment Mathieu Molimard, professeur au service de pharmacologie médicale, et Jérôme Barrière, oncologue.
  • Le terme de turbocancer est en lui-même impropre et n’existe pas dans le milieu médical.

C’est une infox tenace dans les sphères antivaccins et qui se propage sur les plateaux télé. Des « turbocancers seraient provoqués par les vaccins à ARN messager », voilà l’affirmation qui fleurit dans des messages viraux depuis plusieurs mois. Et l’offensive n’est pas menée que sur les réseaux sociaux : elle est diffusée sans contradiction à la télé où un lien a été fait entre cancers et vaccination antiCovid dans une séquence de « Touche pas à mon poste ! » le 15 janvier et la semaine dernière sur CNews. Nathalie Marquay, invitée sur le plateau de l’émission le 15 janvier, s’est dite convaincue que le vaccin antiCovid a précipité le décès de son mari, Jean-Pierre Pernault, victime de treize AVC, dont le dernier a été fatal. Elle explique qu’elle ne voulait pas qu’il ait une troisième dose en étant en radiothérapie pour traiter son cancer des poumons.

Le 12 janvier sur CNews, Didier Raoult, ancien directeur de l’IHU de Marseille, a aussi répondu par l’affirmative à une question sur l’existence d’un lien entre vaccin contre le Covid-19 et les lymphomes. A une nouvelle question de Pascal Praud : « Y a-t-il des cancers rapides qui se développent, selon vous, à cause du vaccin Covid ? », le médecin affirme que « le mécanisme qu’on connaît de développement des lymphomes, c’est d’injecter de l’ADN dans les lymphocytes des ganglions » (ce qui n’est pas le cas, nous expliquent des spécialistes).

« Un fantasme sur les turbocancers et les vaccins »

Dans son propos, il cite un papier paru dans Nature le 6 décembre sur les protéines alternatives induites par les vaccins à ARNmessager. Il explique que cet article montre que « le bidouillage fait pour que l’ARN dure plus longtemps a créé des protéines inconnues qui se baladent dans le corps et dont on ne sait pas ce qu’elles font ». Une lecture « anxiogène » de l’article d’après Mathieu Molimard de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT), qui laisse entendre « des effets indésirables qui en pratique n’ont pas été observés ». L’association, qui fait de la pédagogie sur la pharmacologie, a publié une note sur son site pour expliquer le contenu de cette publication.

Ce « fantasme sur les turbocancers et les vaccins ne se base sur rien, dénonce Mathieu Molimard, professeur au service de pharmacologie médicale au CHU de Bordeaux et membre du site d’administration de la SFPT. Toutes les données de pharmacovigilance, et on n’en a jamais eu autant sur un vaccin, montrent qu’il n’y a pas d’augmentation du risque de cancer, qu’il n’y a pas d’augmentation des lymphomes. »

Une tribune de 50 oncologues en mars

C’est aussi ce qu’a rappelé avec force un collectif de cinquante oncologues dans une tribune publiée en mars 2023 sur L’Express. Ils expliquent « contester formellement ces informations qui ne sont basées sur aucune publication, sur aucune donnée épidémiologique française ou internationale » sur le lien entre vaccins antiCovid et cancer. Le terme de turbocancer est en lui-même impropre et n’existe pas dans le milieu médical, ajoutent Mathieu Mollimard et les signataires de la tribune. Le terme médical est celui de cancer très agressif ou fulgurant.

L’oncologue Jérôme Barrière, corédacteur de la tribune et membre du conseil scientifique de la Société française de cancer, l’a encore écrit sur X en réaction à la séquence avec Didier Raoult. « Je n’ai constaté aucune aggravation de cancers après vaccination », souligne-t-il, faisant référence à ses travaux sur l’impact de la vaccination antiCovid chez les patients sous chimiothérapie.

Une dizaine de cas d’accélération de lymphomes

A 20 Minutes, il précise ce qui a été découvert. Une dizaine de cas d’accélération de lymphomes, manifestement synchrone après une deuxième ou une troisième dose de vaccin antiCovid, ont été décrits. « Rien n’est caché », rappelle celui qui souligne aussi ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec la vaccination. Et dans cette dizaine de cas – sur des milliards de doses de vaccin –, les personnes avaient déjà une pathologie à lymphomes, c’est-à-dire un cancer des ganglions. « Ce n’est pas quelque chose qui a provoqué un cancer, insiste Jérôme Barrière. Ces cas de progression accélérée, improprement appelés turbocancer, sont rarissimes. À bien noter que ce n’est pas vrai pour les autres pathologies puisqu’on n’a jamais décrit l’augmentation du cancer du sein, du pancréas. »

Ce qui a été observé après la vaccination, avec le suivi par imagerie métabolique (le pet-scan), c’est une réaction au niveau des ganglions, notamment axillaires : « Ils sont gros, inflammatoires, mais c’est tout simplement parce que la réponse immunitaire se met en marche pour créer les anticorps et ça crée une inflammation au niveau des ganglions transitoires », explique l’oncologue.

« Est-ce que cette inflammation a pu, dans des cas rarissimes, booster le phénomène lymphomateux ? On ne peut pas l’exclure, détaille-t-il. De même, de manière assez surprenante, il y a eu des cas de régression spontanée post-vaccinal. Il y a aussi eu des cas de lymphomes accélérés après vaccination antigrippe, donc, ce n’est pas un phénomène spécifique à la vaccination antiCovid. Et cela peut arriver aussi après une infection ou tout emballement immunitaire. »

« De la science-fiction »

Dire que cela « peut provoquer » un cancer, « c’est de la science-fiction », dénonce-t-il encore. Par ailleurs, « les supputations » de Didier Raoult « sur l’ARN du vaccin qui contiendrait de l’ADN et serait intégré dans le génome sont absurdes et ne se basent sur rien. C’est dangereux. » Ces propos, estime-t-il, vont « à l’encontre de l’article 13 du Conseil national de l’ordre des médecins ». Ce dernier indique qu’un médecin, lorsqu’il s’exprime publiquement, doit faire état de données confirmées, faire preuve de prudence et a le souci de répercussion de ses propos auprès du public.

L’oncologue ajoute aussi, en référence aux inquiétudes de Nathalie Marquay, qu’il n’y a aucune contre-indication à ce qu’un patient en chimiothérapie ou radiothérapie reçoive une troisième dose de vaccin antiCovid. Le rapport bénéfice/risque de la vaccination l’emporte toujours.

La découverte de protéines alternatives

Enfin, l’article de Nature explique ce que font ces protéines alternatives qui ont été découvertes. « Les vaccins ARNm font produire, par les cellules de l’immunité qui les captent, des protéines qui ressemblent à celles du virus, afin d’entraîner le système immunitaire à reconnaître et éliminer le virus en cas d’infection », explique la Société française de pharmacologie et de thérapeutique dans sa note. Les ARNm sont modifiées pour les rendre plus stables, car les enzymes les dégradent rapidement. « Ces modifications peuvent induire une erreur de lecture des ARNm avec un décalage qui peut entraîner la production de protéines alternatives généralement plus petites », poursuit la SFPT.

« Ce qui est sûr, c’est que ces protéines n’ont pas induit de réaction d’auto-immunité parce qu’on n’en a pas observé avec les vaccins ARN, complète Mathieu Molimard. Elles n’ont pas induit des effets indésirables inattendus par rapport à ce qu’on attendait. » Le professeur en pharmacologie rappelle que, comme pour tout médicament, il n’est pas possible de connaître toutes les interactions moléculaires des principes actifs. « C’est le rôle du développement de mesurer l’efficacité, les effets secondaires et les effets indésirables et de la pharmacovigilance, après la commercialisation, de surveiller la survenue d’effets indésirables pour apprécier en continu le risque au regard du bénéfice », souligne-t-il.

« Désespéré par l’absence de réaction des autorités »

Cet article, résume la SFPT, pose la question des futures utilisations de la technologie de l’ARN messager afin de réduire le décalage de lecture qui peut créer ces protéines alternatives. Il propose des solutions pour réduire le risque de mauvaise traduction des ARN messagers et réduire le risque d’effets indésirables qui pourraient éventuellement être liés à ces protéines.

Notre rubrique de Fake Off

Mathieu Molimard et Jérôme Barrière alertent tous deux sur les risques que font peser ces fausses informations répétées. Le professeur en pharmacologie se dit « désespéré par l’absence de réaction des autorités face une désinformation massive et répétée qui met en danger des vies ». Quand l’oncologue explique affronter dans son quotidien « la porosité de cette désinformation qui concourt à un brouhaha ambiant et peut avoir des conséquences sur l’hésitation vaccinale ».

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